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Politiques

«Je me sens con, avec mon ton paternaliste du haut de ma petite trentaine»
Jérôme Guedj, Vice-président PS du conseil général de l'Essonne et Conseiller municipal de Massy, raconte la nuit de samedi et livre ses commentaires sur les incidents qui ont émaillé sa tournée dans les cités.

Par Jérôme GUEDJ
06 novembre 2005 (Liberation.fr - 20:53)

Vice-président du conseil général de l'Essonne
Conseiller municipal de Massy




il est 3h30 dimanche. Je viens de rentrer chez moi. Je viens de voir brûler le gymnase Jean Jaurès dans ma ville, Massy, qui connaît ce soir sa 4e nuit consécutive d'incidents sérieux. J'ai la rage au ventre. Le clavier de mon ordinateur est le seul remède à mon sentiment d'impuissance. Je sais que tout à l'heure, ou peut-être demain, ça passera. Mais ces dernières heures ont été si étranges.

Dans l'après-midi, après une longue discussion avec un ami, sympathisant de gauche, très impliqué dans l'association des musulmans de Massy, j'ai réalisé qu'il fallait agir, plutôt qu'observer et commenter les événements gravissimes qui secouent les banlieues et au-delà le pays entier. Il m'expliquait alors que chacun doit prendre ses responsabilités, d'abord pour éviter des drames. C'est pourquoi les membres de son association avaient mobilisé leurs fidèles, en demandant aux parents de garder leurs enfants à la maison, et de descendre dans les rues le soir pour dissuader les autres de faire des conneries. Louable intention. Mais pourquoi laisser cette tâche aux seules cultes (le républicain intransigeant que je suis n'aime viscéralement pas que les religions investissent le champ public, aussi méritoires soient les intentions originelles), ou aux militants associatifs (dans un étrange paradoxe d'ailleurs : celles-là même qui souffrent de la diminution drastique des subventions continuent à mobiliser, et à éteindre les incendies allumés par leurs coupeurs de crédit…).

Quel est le réseau que moi aussi je peux mobiliser ? Les militants socialistes. Ce qui se passe est d'abord et avant tout une crise politique et sociale, le reflet de l'état d'urgence politique et sociale dans lequel se trouve notre pays, crise qui se cristallise dans ces territoires de la relégation que sont devenues depuis bien longtemps déjà ces cités-ghettos (je viens de lire cette expression dans une dépêche AFP, je crains que la formule ne connaisse un réel succès…). Je parle de cela avec Marie-Pierre Oprandi, qui est comme moi conseillère générale d'une moitié de Massy, et Hamed Kribi, le secrétaire de la section socialiste. Nous ne savons pas où cela nous mène mais l'inaction nous coûte. Nous passons donc une partie de l'après-midi à téléphoner à quelques dizaines de militants. Etrange quiproquo souvent : beaucoup d'entre eux croient d'abord que notre appel est destiné à mobiliser ou convaincre avant le vote interne des socialistes pour notre Congrès … Cruel décalage ou déclinaison pratique de ce que nous écrivons dans nos motions, je ne sais trop.

Rendez-vous est pris avec ceux qui peuvent le soir même, d'abord pour échanger entre nous, puis pour tenter de peser concrètement sur le cours des choses. A 20h30, nous sommes 35 à nous serrer dans le petit local des socialistes massicois. Beaucoup ont envie de s'exprimer, sur Sarkozy bien sûr, le rôle des médias, le désespoir des jeunes et tant d'autres choses encore. Je suis frappé de ce dilemme permanent : l'écoeurement face à ces violences inutiles, stériles et autodestructrices mais aussi très vite l'expression diffuse d'une solidarité, une compréhension fataliste de ce qui se passe. Les réflexes politiques reviennent vite : cette situation profite directement à tous ceux qui souhaitent évacuer la question sociale pour lui substituer les enjeux sécuritaires. Ce gouvernement échoue délibérément en matière de lutte contre le chômage et la précarité, d'amélioration du pouvoir d'achat, de résorption de la crise du logement, de défense des services publics… Alors rien de tel que de susciter la peur et de flatter les instincts sécuritaires. Les provocations de Sarkozy sont délibérées. Elles sont destinées à mettre le feu aux poudres. « Cela couvait depuis longtemps », nous a asséné le ministre de l'intérieur. Il savait donc que ses mensonges (après la mort des deux jeunes à Clichy) et ses provocations de langage réitérées (à La Courneuve, Argenteuil ou ailleurs…) suffiraient à mettre le feu, au sens propre comme au sens figuré. Et voilà la thématique sécuritaire de nouveau propulsée à la une des journaux, comme en 2002 lors de l'élection présidentielle. Accessoirement, en invitant les responsables religieux à prendre leur part dans la gestion de la crise, Sarkozy conforte le modèle communautariste qu'il défend. Et voilà un beau projet, très bushien, extrêmement cohérent, de libéral-communautarisme pour 2007…

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