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Politiques

«Je me sens con, avec mon ton paternaliste du haut de ma petite trentaine» (3)

Par Jérôme GUEDJ
06 novembre 2005 (Liberation.fr - 20:53)

Vice-président du conseil général de l'Essonne
Conseiller municipal de Massy



je propose un thé chez moi. J'y retrouve avec plaisir mon ami Jean-Luc Mélenchon qui a rejoint un peu plus tôt une des équipes qui parcourait le quartier populaire où il habite. Plus tôt dans la journée, il avait, par un communiqué, appelé à ce que les militants de gauche occupe le terrain, et ne le laisse pas à la seule confrontation entre jeunes désabusés et policiers excédés. Je sais que personne ne croira que c'est sans connaître l'existence de cette prise de position exprimée le matin par Jean-Luc lors (en déplacement politique dans le Sud-Ouest depuis deux jours) que nous avons pris notre initiative à Massy. C'est pourtant vrai. Nous nous réchauffons en échangeant sur notre inquiétude, notre pessimisme face à la dégradation de la situation et l'arrogance des réponses gouvernementales.

Un père de famille se présente. Son fils est en garde à vue depuis la nuit précédente au commissariat de Massy. Plusieurs d'entre nous le connaissent, certains m'assurent que c'est un « gars sérieux », pas un casseur. Je m'étonne alors de l'heure de son interpellation (4h du matin : que faisait-il dans les rues à cette heure si tardive, alors que la nuit était émaillée d'incidents sérieux) . Nous nous rendons, avec Marie-Pierre, Hamed et le père du jeune homme au commissariat pour tâcher d'en savoir plus. Nous savons parfaitement que, lors d'une garde-à-vue, aucune information ne peut être communiquée mais nous sommes là pour prendre le pouls de la situation. L'accueil des policiers est limite glacial, mais les circonstances sont tendues. Et cette démarche me gêne. D'autant que les policiers affirment avec aplomb qu' « eux aussi connaissent » notre jeune… Nous repartons désemparés (en ayant toutefois appris que la comparution immédiate était prévue pour le lendemain dimanche) ; je suis mal à l'aise . J'ignore alors que ce malaise était peut-être intuitif…

Plus tard, vers 1h, alors que certains sont rentrés chez eux, j'apprends qu'un incendie vient d'éclater dans un gymnase. Nous nous y rendons immédiatement. A peine quinze minutes après le début du feu, le spectacle est désolant. Au milieu des habitations, le gymnase gît, éventré par les flammes. Le toit s'est effondré, les flammes montent haut, une très épaisse fumée se dégage. Et pour cause : ce gymnase accueille la Tricolore Sportive de Massy, club de gymnastique fondé il y a 110 ans. Tous les matériels (tapis, coussins…) partent en fumée. Je soupire en songeant aux 600 licenciés du club privés pour longtemps de salle… Les pompiers font ce qu'ils peuvent mais le gymnase est foutu. Je croise un employé municipal les larmes aux yeux devant le triste spectacle. Le silence (très étonnant aussi) est entrecoupé par les coups de massue des pompiers qui s'abattent sur les murs du gymnase.

François Lamy, député de la circonscription et maire de la commune voisine, Palaiseau, arrive. Je réalise alors que plus d'une heure après le début du feu, pas l'ombre du maire ni d'un élu de la majorité municipale. Le commandant des pompiers est d'ailleurs embêté de s'adresser « aux seuls élus municipaux qu'il a sous la main, même s'ils sont de l'opposition » pour indiquer les besoins en barrières métalliques pour isoler le bâtiment. La situation fait sourire le correspondant local de l'AFP et un journaliste de l'hebdomadaire départemental, qui viennent d'arriver. Ils parcourent le département dans tous les sens, les nouvelles ne sont guère bonnes. Ils repartent d'ailleurs vérifier si un Mac Donald's est en feu à Villemoisson…

Nous discutons avec des policiers. Innocemment, nous les questionnons sur les interpellations qui ont eu lieu et les éventuels gardés à vue. L'un lâche que trois jeunes ont bien été interpellés la nuit dernière dans le quartier en flagrant délit de tentative d'incendie sur une voiture. Je suis abasourdi. Demain, je ferai tout pour comprendre…

Finalement, le maire arrivera peu après, une heure et demie après le début de l'incendie. Vaine querelle, me diriez-vous. Non, je suis sincèrement atterré par un tel abandon. C'est pour moi une faute politique grave que de ne pas être aux côtés de ses administrés dans l'adversité. Même symbolique, la présence des élus de la République est importante, pour atténuer la désespérance naissante, autant que pour entendre la colère et le dégoût face à un tel gâchis.

Abattu, je raccompagne à pied Marie-Pierre qui habite non loin. Il faut continuer, ne pas se laisser abattre, ni céder à la résignation. Ce qui se passe ne concerne pas que la police, que les élus. Et si demain soir nous étions plus nombreux encore dans les rues pour parler et tenter d'enrayer la stupide escalade ? Et si on demandait aux licenciés et bénévoles des différents clubs sportifs de la ville de prendre en charge la surveillance pacifique et dissuasive des équipements sportifs ? Ainsi qu'aux parents d'élèves pour les écoles ? Ou tout simplement, à tous les citoyens qui aspirent à préserver l'essentiel, de jouer le rôle de « casques blancs » (comme lors des manifestations lycéennes pour éviter les débordements) de leur ville et de leurs enfants, dans une sorte de grande veille citoyenne et républicaine, aux antipodes d'une milice de quartier ? Et dans l'idée de construire demain ensemble les bonnes réponses aux besoins de ces quartiers, de nos quartiers ? La nuit sera hélas encore longue demain, je vais donc me coucher.

Massy, le 6 novembre 2005, 5h45

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