ras levés, voix puissante, ils crient
"Allah Akbar !" au pied des barres de Clichy-sous-Bois, en invitant leurs
"frères" à
"rester tranquille". A quelques mètres, les CRS se protègent avec leurs boucliers et apprécient l'intervention. Cette scène, constatée dans la soirée du lundi 31 octobre, confirme de façon spectaculaire le rôle de médiation, voire de maintien de l'ordre, que prennent et revendiquent les représentants de l'islam dans les quartiers sensibles, surtout à l'occasion de tels accès de violences.
Ces jeunes croyants, reconnaissables à leur tenue traditionnelle et à leur barbe, ont été mobilisés par Abderamane Bouhout, président de l'association cultuelle qui gère la mosquée Bilal, dans laquelle une grenade lacrymogène a été lancée dimanche 30 octobre.
Des volontaires ont également été recrutés par l'intermédiaire de la mosquée de la rue Maurice-Audin, où l'imam, Meskine Dhaou, a lancé un appel au calme dès le lendemain de la mort des deux mineurs par électrocution. Une soixantaine de volontaires au total se sont ainsi répartis dans Clichy pour dialoguer avec les jeunes et s'interposer devant les forces de l'ordre.
"Nous avons une fonction d'ordre public, qui signifie que nous devons dialoguer avec les jeunes" , insiste Mohamed Bellahcene, président d'une des huit associations musulmanes de Clichy.
Ces initiatives ont été bien accueillies par les autorités. Une réunion entre plusieurs organisateurs du service d'ordre et le préfet de Seine-Saint-Denis a ainsi eu lieu au Raincy, lundi soir, pour faciliter le travail des médiateurs. M. Bouhout s'est, lui, rendu au PC central des forces de l'ordre, installé dans la caserne des sapeurs-pompiers à Clichy, pour expliquer sa démarche. "Dans ces quartiers, les maires ne peuvent plus rien faire sans les représentants de la communauté musulmane", souligne un cadre des Renseignements généraux de Seine-Saint-Denis.
INQUIÉTUDE
Le rôle des organisations musulmanes a également été reconnu par la mairie de Clichy. Malgré ses efforts, celle-ci n'a pu déployer que cinq ou six "animateurs jeunesse" et quatre personnes des "clubs de prévention" dans les quartiers pour discuter avec les jeunes.
"Dans l'urgence, toutes les bonnes volontés sont importantes. de toute évidence leur présence a contribué à apaiser les choses" , note Olivier Klein, premier adjoint au maire, chargé de la jeunesse et de la politique de la ville. Dans l'équipe municipale, on commence toutefois à s'inquiéter sans vouloir l'affirmer publiquement à l'idée que des organisations musulmanes puissent chercher à profiter de cet épisode, une fois les incidents terminés. Et qu'elles cherchent à remplir une mission durable de "maintien de l'ordre" ou de pacification.
L'impact des incidents à Clichy, notamment le fait qu'une mosquée ait été atteinte par une grenade lacrymogène, a conduit le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Dalil Boubakeur, à se rendre mardi 1er novembre à la mosquée Bilal.
Ce déplacement n'a pas fait l'unanimité au sein du CFCM. A la tête d'une délégation, le recteur de la Mosquée de Paris souhaitait manifester sa "solidarité" et "participer à la prière du soir" . "Tout le monde était ému par ce qui s'était passé dimanche, en pleine période de ramadan. Presque à l'unanimité, il a été décidé qu'on ne pouvait rester silencieux" , explique Dalil Boubakeur.
Fouad Alaoui, secrétaire général de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), a un autre avis. "Le départ de M. Boubakeur s'est fait dans une précipitation totale, dont il n'a pas fait preuve lorsque d'autres mosquées ont fait l'objet de dégradations, assure-t-il. On a voulu emmener le CFCM sur un terrain politique qui n'est pas le sien. M. Boubakeur n'arrive pas à assurer un équilibre entre toutes les composantes politiques françaises." Il y a deux semaines, Fouad Alaoui avait déjà adressé ce reproche au recteur de la mosquée de Paris lorsque celui-ci avait pris position en faveur de Dominique de Villepin, contre Nicolas Sarkozy, dans le débat autour de la loi de 1905 sur la séparation entre l'Eglise et l'Etat (Le Monde du 27 octobre).
La visite de Dalil Boubakeur à Clichy-sous-Bois a été particulièrement brève, le temps de saluer les fidèles et rompre le jeûne. Selon des témoins, la voiture du recteur aurait même été visée par quelques projectiles. Le président du CFCM n'a fait aucune déclaration à sa sortie de la mosquée, conformément, selon lui, à un accord passé avec l'association cultuelle. "Nous avons découvert une atmosphère anormale, tendue, faite de méfiance", note-t-il. Les soupçons d'instrumentalisation ont rendu méfiants les acteurs locaux de l'islam.
L'UOIF, elle, avait préféré envoyer son délégué régional la veille, en toute discrétion. L'organisation sait le bénéfice qu'elle peut tirer du travail de terrain. "On ne peut exclure la religion du champ social, souligne Fouad Alaoui. Il peut être un facteur d'apaisement. Si toutes les lois et les réglementations. ne parviennent pas à cadrer les hommes, la religion peut jouer tout son rôle."