Edito du Monde
Dérisoires zizanies
LE MONDE | 03.11.05 | 13h05  •  Mis à jour le 03.11.05 | 13h05

es chiffres sont tristement éloquents : depuis le 1er janvier, près de 70 000 faits de violences urbaines ont été recensés en France. Depuis dix mois, selon ce nouvel indicateur des renseignements généraux, on a recensé plus de 28 000 voitures brûlées et 442 affrontements entre bandes. Si les violences urbaines sont permanentes, elles se sont aggravées dans les banlieues d'Ile-de-France, et d'abord en Seine-Saint-Denis, qui a connu sa septième nuit d'émeutes depuis la mort, le 27 octobre, de deux adolescents à Clichy-sous-Bois.

Dominique de Villepin a eu raison de dire, le 2 novembre, qu'"il n'y a pas de solution miracle face à la situation des quartiers". Cette lapalissade montre bien que, sous la droite comme sous la gauche, l'Etat a révélé son impuissance.

Mais avec les explosions de violences provoquées par le drame de Clichy-sous-Bois, l'Etat a, en outre, donné le spectacle d'une gestion désordonnée. Sans doute soucieux de retrouver les faveurs de la frange la plus à droite de son électorat, indisposée par sa prise de position en faveur du droit de vote des immigrés aux élections municipales, Nicolas Sarkozy a tenu le langage qu'elle voulait entendre.

En voulant venir à bout des violences urbaines, le ministre de l'intérieur est dans son rôle. Mais quand il veut "nettoyer au Kärcher" les banlieues et faire la chasse à la "racaille", il obtient exactement l'inverse des résultats visés par sa fermeté affichée. Le propos est reçu comme une stigmatisation globale des jeunes des cités. Loin de rétablir l'ordre dans les quartiers, il active l'enchaînement des violences urbaines.

Si M. Sarkozy a démontré les limites de son discours sécuritaire, les autres autorités concernées n'ont pas brillé par leur savoir-faire. Jacques Chirac a attendu le 2 novembre pour appeler à l'apaisement. Le premier ministre est resté silencieux cinq jours avant de jouer la carte de la dramatisation politique en annulant, in extremis, un voyage au Canada. Jean-Louis Borloo a été, jusqu'à jeudi, aux abonnés absents.

Au-delà de leurs zizanies, qui attisent leur compétition pour 2007 sur pratiquement tous les sujets, M. Sarkozy et M. de Villepin défendent deux stratégies antagonistes pour lutter contre les violences urbaines. Le ministre de l'intérieur parle de fermeté et de justice mais ne semble pratiquer que la première.

Le premier ministre, après avoir, au diapason du chef de l'Etat, redit à juste raison qu'"il n'y aura pas de zone de non-droit", laisse entrevoir un traitement social. "Prévenons tout amalgame entre une minorité qui mène le désordre et la grande majorité des jeunes qui souhaitent s'intégrer dans la société", a-t-il affirmé.

M. de Villepin annonce un énième plan d'action pour les banlieues. Mais la coexistence de deux visions opposées au sommet donne lieu à des gesticulations ­ comme avec le ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, Azouz Begag ­ dérisoires. Il est temps de gérer sérieusement une crise sérieuse.


Article paru dans l'édition du 04.11.05